"Poète perdu, pourquoi erres-tu ?
Hélas, muse et rivière aimante,
Une dernière fois je me lamente,
Au crépuscule de ma vertu.
Dans cette intense obscurité,
Je me tourne vers tous ces hiers,
Pour y voir la dernière lumière,
Mais pas la moindre vérité.
Je redoute la nuit éternelle,
Sonnant la fin de mes espoirs,
Et mes plus beaux rêves d'ivoire,
L'oubli spirituel et charnel.
Quand les derniers mots de l'horloge,
Tairont la saison des serments,
Autant que celle des tourments,
Alors quel sera mon éloge ?"
(Ce poème est l’œuvre de Sénodia, alors méconnu, qui fut retrouvé noyé dans les eaux de la Liannaé, non loin d’un arbre sur lequel était placardé un papier clamant son adieu au monde)
Frères de soif
Certains soirs d'été, lorsque le vent est favorable, des voix venues du large parviennent aux oreilles des habitants des côtes d'Erlanie, et voici ce qu'elles racontent :
"Cela fait plus de cent jours que nous avons quitté la terre,
Cela fait plus de cent nuits que nous parcourons la mer,
Buvons, tout ce tonneau de bière,
Buvons, tous ensemble mes frères,
Unis sur cette galère.
A bord de notre fier voilier,
Nous faisons face aux pires dangers,
Avec nos épées.
Nous portons avec nous l'héritage de nos pères,
Nous portons avec nous les larmes de nos mères,
Buvons, tout ce tonneau de bière,
Buvons, tous ensemble mes frères,
Unis sur cette galère.
Attends encore ma bien-aimée,
Je rentrerai pour t'épouser,
Au prochain été.
Le vieux matelot est mort la semaine dernière,
Il ne reposera jamais dans un cimetière,
Buvons, tout ce tonneau de bière,
Buvons, à ta mémoire mon frère,
Unis sur cette galère.
Nos cales pleines de poisson séché,
De breuvages pour nous enivrer,
Parés à chanter !
Si le souffle de Fréolle nous conduit à la guerre,
Alors les rangs serrés, nous croiserons le fer,
Certains de nous vont trépasser,
Mais tous les autres vont rester,
Prêts pour naviguer.
Nous boirons, tout ce tonneau de bière,
Nous boirons, toujours ensemble mes frères,
Unis sur cette galère.
Les maladies pourront toujours brûler mes artères,
Notre navire sera pour moi un noble sanctuaire,
Et si la mort vient me faucher,
Je resterai à vos côtés,
Pour l'éternité.
Buvez, tout ce tonneau de bière,
Buvez, tous ensemble mes frères,
Unis sur cette galère.
Allez !
Car nous sommes braves et fiers,
Buvons, tous ces tonneaux de bière,
Nous autres, les seigneurs de la mer,
Buvons, tous ensemble mes frères,
Nous sommes de joyeux corsaires,
Buvons, tous ensemble mes frères,
Unis sur cette galère."
