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Contes et Légendes de Péladune

  Ensemble de contes et légendes anonymes, traditionnels de la région du Bois de Péladune. Ils alimentent les veillées des campagnes de Palatie, depuis des siècles.

La vallée

  Un peu au sud de la Forêt de Péladune se trouvait à l’époque une vallée fertile où les gens vivaient heureux. Des paysans bien nourris et des riches marchands habitaient là, loin des dangers de la Forêt et des Falaises. La guerre, la maladie, le malheur en général semblaient éviter cette région depuis toujours, sauf peut-être une mauvaise récolte de temps à autre, et rien ne présageait d’un destin autre.

  Un jour cependant, une des femmes du village accoucha d’un bébé qui allait changer le cours des choses. Sa naissance horrifia tous les témoins et chacun se demanda ce qui avait bien pu se produire pour qu’un tel malheur survînt. Peut-être un nuage sombre était passé devant la lune au moment de sa conception, peut-être un rat avait ricané lors de sa naissance.

  Le nouveau-né était vilain : non seulement il était bigle, mais encore sa bouche était tordue, ses sourcils épais, et sa peau blanche marquée de plaques sombres. Ses parents se lamentèrent, car assurément il leur apporterait le malheur. Il fut nommé Cuir-de-vache, en raison de sa peau tâchée.

  Le malheur ne tarda en effet pas à arriver en leur demeure car peu de temps après la mère tomba malade et mourut. Le père connut le même sort quelques saisons plus tard. Et l’enfant se retrouva orphelin sachant à peine marcher et balbutier.

  Personne ne voulut recueillir le petit Cuir-de-vache, il dut donc subsister tout seul. Il se nourrissait avec les animaux, tantôt les poules, tantôt les chiens, parfois les lapins. On le voyait souvent parler aux rossignols, qui étaient ses seuls amis.

  Cuir-de-vache était laid et haï par les autres enfants, qui lui jetaient des pierres au visage. Ce mauvais traitement et sa pauvreté ne faisaient qu’empirer sa laideur, car il était sale et ses cheveux hirsutes le faisaient ressembler à une bête.

  On l’accusait de tous les maux que les gens commençaient à percevoir, des mauvaises récoltes jusqu’aux nuisibles. On prétendait que sa laideur faisait faner les fleurs et que le regarder dans ses yeux bigles rendait stérile. Tous les habitants du village le détestaient, et finirent par le chasser dans la vallée, le menaçant de l’enfourcher s’il osait revenir.

  On n’entendit plus parler de lui pendant plusieurs années, et à la vérité les gens finirent par l’oublier. Le temps passa et les villageois retrouvèrent leur quiétude d’antan, la source de leurs maux bannie.

  Le pauvre Cuir-de-vache continua sa vie misérable dans la vallée, buvant aux sources et mangeant à même le sol telle une bête qu’il était. Il n’avait guère appris à parler, et connaissait surtout le langage des oiseaux, en particulier des rossignols qui l’avaient accompagné dans son exil.

  S’il ne parlait jamais, il chantait parfois, le soir. Et s’il était repoussant, sa voix était d’or. Eût-il commencé à chanter que sitôt après les animaux de la vallée, ainsi que les fleurs, se tournaient vers lui pour l’écouter avec mélancolie.

  Certains soirs le vent portait les douces notes dorées de sa voix mélodieuse jusqu’aux fenêtres des maisons du village.

  « Quel est ce merveilleux chant, se demandait-on ? »

  « Ce doit-être une tourterelle, disaient les uns. »

  « Pas du tout, c’est une mésange, affirmaient les autres. »

  « Assurément, c’est un rossignol, rétorquait un troisième. »

  Certains prétendaient même que c’était le vent qui chantait ainsi, pour célébrer la lune et séduire les étoiles.

 

  Il advint que l’une des filles du village fut attirée par le chant et, une nuit, n’y tenant plus, décida de s’aventurer dans la vallée pour en découvrir la source. Elle s’y rendit donc, et ne tarda pas à voir une assemblée hétéroclite de bêtes sauvages sagement installées autour de l’artiste. Il y avait là des chèvres, des chats, des lièvres, des hiboux, des biches, des écureuils, des faucons et même des lions, tous semblant absorbés par le spectacle musical qui s’offrait à eux.

  La fille reconnut immédiatement Cuir-de-vache, car sa monstrueuse laideur ne permettait pas le doute. Cette vision l’émut, et elle fut prise de remords, elle qui l’avait raillé étant petit. Mais elle ne manifesta point sa présence, préférant retourner au village pour faire part de sa découverte.

  « C’est Cuir-de-vache qui chante le soir, et croyez-moi sa voix est merveilleuse, cria-t-elle tout en joie à son retour au village ! »

 

  Personne ne la crut, bien entendu, et sa mère la gifla pour avoir menti. Son père la gifla également pour avoir quitté la maison à la nuit tombée. Son frère la gifla encore car elle refusait d’entendre raison. Alors elle s’enferma dans sa chambre pour sangloter.

  Le frère avec quelques autres hommes, qui avaient été ceux ayant frappé Cuir-de-vache quand il était petit, décida de trouver le chanteur. Si c’était bien celui que sa sœur prétendait, il recevrait alors la correction qu’il méritait.

  Les hommes, qui venaient accompagnés de leurs chiens de chasse, trouvèrent sans peine l’auteur des chants. Les animaux s’éparpillèrent à la vue des chasseurs et surtout de leurs chiens. Il était indéniable que la voix de Cuir-de-vache voletait telle un papillon multicolore dans la nuit étoilée, mais sa présence et, à vrai dire, son existence même perturbaient la nature.

  « Ma sœur va s’aventurer en pleine nuit à cause de toi, affirma le frère. »

  « Tu amènes les bêtes sauvages à nos portes, lui reprocha l’un des hommes ! »

  « Ta voix est un cadeau des démons, cria son acolyte ! »

  « Le gibier va devenir stérile par ta faute, l’accusa un autre. »

  Le pauvre Cuir-de-vache ne savait que répondre et devant son silence les chiens furent lâchés sur lui car il était pour eux la plus sauvage des bêtes. Les coups de bâton suivirent et avant longtemps ils le laissèrent pour mort avant de rentrer fièrement à leur village, leur devoir accompli.

  Toutefois il restait un souffle de vie au chanteur et pour une fois, une seule fois, ses mots furent de plomb. Avant de mourir, il maudit ce monde qui l’avait tant haï et qui lui avait causé tant de malheur :

  « Puisque votre cœur est sécheresse, alors telle sera la terre pour les siècles à venir. »

  Personne ne sait si un des hommes se retourna et entendit la malédiction, mais celle-ci perdura bien après sa mort. Les saisons qui s’ensuivirent furent arides : aucune femme n’enfanta, aucune bête ne donna la vie, aucun arbre ne fleurit et aucune graine ne germa. La seule pluie qui tombait rarement était vénéneuse, et les habitants surent sans comprendre, que leur terre était frappée de malédiction, et désertèrent la vallée pour gagner la forêt.

  Depuis cette époque la région est stérile, sans doute à jamais, et on l’appelle Gaste-Val.

Un fermier

  Un fermier, à qui la fortune n’avait jamais souri, vivait dans ce village perdu au cœur de la forêt. Veuf, il élevait ses trois jeunes filles, toutes plus ravissantes que les autres du village, et travaillait dur à labourer sa terre.

  La première de ses filles avait la peau blanche comme la première neige qui se déposait délicatement sur les arbres nus, aux petites heures de l’hiver. Ses cheveux étaient noirs comme les corbeaux qui discutaient sur les branches basses dès que le soleil déclinait.

  Sa deuxième fille avait la chevelure soyeuse et légère, pareille aux papillons jaunes qui volettent pour annoncer les beaux jours. Sa peau avait la couleur du miel qu’offraient les abeilles généreuses à qui savait les saluer.

  Quant à sa plus jeune fille, elle avait une peau de la teinte des opales roses, que ni elle, ni ses sœurs, ni son père n’avaient jamais connues. Ses cheveux étaient de la couleur des framboises mûres, de la ferme voisine, qu’elles dégustaient secrètement au plus fort de l’été.

  La petite famille vivait dans une misérable ferme qui ne comprenait qu’une pièce, et le père dormait dehors, sur la terre meuble, pour protéger ses enfants. Ils étaient si pauvres, à dire vrai, qu’ils mangeaient à peine chaque jour, se partageant les maigres fruits de la terre que le paysan cultivait.

 

  Un matin, il advint qu’un mendiant frappa à sa porte pour le supplier de lui donner un morceau de pain.

  Il ne restait alors pour le fermier et ses filles, qu’un croûton de pain rassis, qui devait les nourrir jusqu’à la fin de la semaine où les navets seraient mûrs. Il accepta d’en céder la moitié au mendiant, par charité, en laissant l’autre moitié à ses filles.

 

  Quelques semaines plus tard, un marchand de fruits vint à passer par le village. L’homme avisa le fermier et demanda qu’on lui serve un repas, car sa charrette était vide (bien que sa bedaine fût remplie). Le fermier refusa poliment car lui et ses filles subsistaient à peine. Le marchand se renfrogna mais la vue des jeunes filles du fermier le revigora.

  « Tes filles me suffiront pour cette nuit, saliva-t-il, car ce doivent être de bien belles ribaudes. »

  Le fermier dut accepter tête basse, et sanglota toute la nuit pour ne pas entendre les mugissements de l’indélicat marchand. Nul ne sait si ce dernier était attendu quelque part, mais on le retrouva pendu au petit matin, et mutilé au bas ventre.

 

  Quelque temps après, un seigneur qui rentrait de voyage, désira faire halte pour la nuit. Sans descendre de son cheval, il héla le fermier pour réclamer le gîte. Conscient de sa pauvreté et soucieux de préserver ses filles, celui-ci se confondit en excuses en évoquant ses mésaventures passées.

   « Puisque tu ne peux m’offrir l’hospitalité qui m’est due, lui rétorqua alors le seigneur, je vais te proposer comment me dédommager. Je peux acheter ta ferme pour une pièce d’or, tu seras alors si riche que tu n’auras plus à travailler. En outre tes filles seront miennes, et je te garantis qu’elles ne manqueront de rien. Mais tu devras quitter cette terre et trouver refuge ailleurs. Crois-moi, avec cet or, tous les marchands t’accueilleront avec plaisir en leur échoppe. »

  « Si tu refuses, alors j’irai chercher le gîte ailleurs mais alors tu me suivras et me serviras pendant un an, et par la suite seulement tu pourras regagner ta vie misérable. »

  Le fermier et ses filles se lamentèrent et pleurèrent de longues heures. La plus jeune finit par convaincre son père qu’il devait vendre la ferme, car il avait trop travaillé et qu’il méritait enfin de se reposer. Elles promirent de veiller les unes sur les autres, et elles lui firent leurs adieux.

 

  Le fermier alla demander l’hospitalité aux fermes voisines, ne cessant de pleurer et racontant son malheur aux autres paysans. Mais ceux-ci ne pouvaient l’accueillir car ils étaient tous misérables. « Tu es riche désormais, vas donc à la ville pour y trouver une nouvelle maison, lui répondaient-ils. »

  Il se dirigea vers le village d’à-côté, ce qui lui prit plusieurs jours car il peinait à trouver son chemin. De plus, la saison était froide, et il parvenait tout juste à subsister en buvant l’eau des sources, et se nourrissant de quelques noix tombées au sol.

  Quand enfin, il arriva au village, il se mit en quête d’un toit, mais il ne connaissait personne. Aucun des habitants ne lui offrit l’hospitalité, alors il leur proposa d’acheter leur maison avec sa pièce d’or, qui était devenue son unique possession.

  « Garde ton or, vieux fou, lui dit-on ici ! Que veux-tu que je fasse de lui ? »

  « Tu es bien sot d’avoir vendu ta vie pour de l’or, lui répondit-on là. Que vas-tu faire à présent ? »

  Il était de plus en plus désemparé, et ne comprenait pas pourquoi les gens refusaient son offre.

  « Tu es assez riche pour me racheter ma ferme et mes terres, lui expliqua-t-on enfin. Mais tu ne pourras pas acquérir de quoi manger ou boire, car personne ici ne sera capable de te rembourser autant. Nous sommes de simples paysans, et nous ne saurions que faire d’une pièce d’or : nous ne connaissons comme monnaie que le cuivre, par ici. Va donc à la ville, par-delà le fleuve, tu y trouveras des marchands qui aiment l’or. »

 

  Il se mit donc en chemin vers le fleuve, qu’il comptait bien traverser pour se rendre à la ville, maintenant qu’il savait ne pouvoir s’installer dans un village. Il dormait parfois, sur de la mousse, et grignotait les maigres offrandes de la nature endormie de l’hiver : ici un radis, là une prunelle, parfois un champignon qui lui tenait alors lieu de festin.

  Le fleuve apparut, agité par les vents froids de l’hiver. Il ne pouvait cependant le traverser à la nage, car la faim et la fatigue l’avaient grandement affaibli. Il s’efforça donc de remonter le cours du fleuve pour trouver un pont qui lui permettrait de traverser celui-ci. Mais à mesure qu’il marchait, il se sentait de plus en plus las, et pensait à ses filles qu’il avait abandonnées.

  Il fut submergé par le chagrin, et c’est un pauvre homme amaigri, titubant et sanglotant qui arriva enfin à un pont de pierre. Il s’écroula sur un rocher, car il ne se sentait plus capable d’avancer. Au fond de lui, le fermier aurait préféré faire demi-tour pour revenir à son village revoir ses filles, une dernière fois avant que de tomber d’épuisement. Mais jamais il n’aurait la force de retourner jusqu’à sa terre natale.

 

  Une voix forte de femme tira le fermier de sa torpeur. En effet une marchande, portant la coiffe grise du deuil, menait sa charrette remplie de fruits d’hiver qu’elle s’en allait vendre aux villages voisins. « Tu m’as l’air bien malheureux, lui lança-t-elle, et tu me fais de la peine. Je n’en ai pas besoin car j’ai déjà assez de mon fardeau, depuis que mon mari est mort. »

  La marchande ignorait en vérité si son mari était mort, puisqu’il était parti plusieurs mois auparavant sans jamais revenir. Mais il fallait reprendre le commerce pour continuer à vivre.

  « Mange donc cette poire, et raconte-moi ce qui te rend si désespéré. »

  Ainsi le fermier lui raconta son malheur, et comment il voulait revoir ses filles.

  « Je te donne bien volontiers cette pièce d’or, si tu me conduis jusqu’à mon village, proposa le fermier. »

  La marchande accepta de bonne grâce et ajouta ceci :

  « Pour une pièce d’or, je te donnerai également de quoi manger, car crois moi tes filles seraient peinées de revoir un vieillard affamé, elles se sentiraient honteuses de leur choix. » Avec cet or la marchande pourrait retourner en ville, où elle arrêterait de travailler, et peut-être trouver un gentil mari qui ne l’abandonnerait pas.

 

  Lorsque le fermier rentra au village, ses filles étaient à l’intérieur de la petite ferme. La première préparait un repas de lard et de lentilles, la deuxième reprisait des chaussures de cuir et la troisième tressait une couronne de houx et de gui. Elles avaient bonne mine, et chacune épousé un des fils du seigneur. D’ailleurs, les trois avaient le ventre rond et portaient le fruit de leur amour. De toute évidence, elles n’avaient manqué de rien, sauf de leur père.

  Elles avaient souhaité rester à la ferme malgré leur situation, car chacune avait surpris, à sa fenêtre, les corbeaux qui discutaient des mésaventures de leur père et de son retour prochain.

  Quelles effusions de joie et de larmes ce furent alors !

  Une fois son enfant né, chacune devait retourner vivre dans son château auprès de son mari. Mais elles promirent toutes de revenir chaque mois à la ferme, que le fermier agrandit d’ailleurs, afin que les trois filles, leurs enfants et le père puissent dormir à l’abri.

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